Le recours à la veine comique, le gag ou l’humour, les jeux de l’ironie ou ceux de l’incongru, ne constituent pas des nouveautés dans le champ des arts plastiques. Moins répandus que dans l’espace littéraire ou dans ceux du théâtre, de la photographie ou du cinéma, ils en occupaient régulièrement les marges ou, même s’ils constituaient rarement le cœur d’une œuvre, ils y formaient des parenthèses, comme autant de pauses ou de divagations nécessaires. Mais si cette posture est apparue de plus en plus fréquente, au fur et à mesure que l’on avançait dans le vingtième siècle, l’importance de sa place aujourd’hui représente un surprenant phénomène tant à cause de l’ampleur des propositions artistiques et la variété de leur registre, que par l’écho que celles-ci rencontrent dans le public, au-delà des petits cercles d’initiés.
Les raisons qui viennent à l’esprit pour expliquer ce phénomène sont comme souvent multiples. Pour les brosser à grands traits, rappelons d’abord que notre époque à ce tournant du millénaire, qui fut marqué par cette crainte burlesque du grand « bug », proclame à tout instant, à tout niveaux et sur tous les tons, le désir et le plaisir de la fête, ou plus exactement celui de son retour, le goût du spectacle qui dérive finalement vers le spectaculaire, s’extasiant et riant à ceux des imitateurs, bercée par les reprises et les compilations, sur une note de nostalgie.
Sur cette toile de fond, plaçons alors parmi les facteurs possibles :
l’émiettemetnt du sujet qui se décompose sous l’effet de la psychanalyse ou des sciences cognitives.
les notions de matière, de durée, de distance, de présent bousculés par la physique quantique.
la faillite, ou perçue comme telle, des idéologismes qui invalident les propositions pérenptoires.
le sentiment d’abondance qui désaliène les jeux de l’imagination et les laisse opérer eux-mêmes ,
la toute puissance de la science et de la technique qui s’implantent au cœur même de la vie.
l’omniprésence des nouveaux médias qui scénarisent le quotidien jusqu’à fabriquer les modèles,
le desserrement des solidarités collectives, sociales ou territoriales qui conduit chacun à concilier des engagements multiples, à passer continuellement d’un rôle à l’autre, d’un clan à l’autre, d’un masque à l’autre, pour des intégrations toujours partielles, entre lesquelles subsistent des intervalles dénudés et périlleux.
Car derrière l’expression burlesque ou parodique, dans ces renversements des contraires, dans l’apparente gratuité du geste, le goût de l’absurde ou du dérisoire, se cache sans doute une nostalgie, celle d’une innocence première seule à même de faire face à cette inquiétante étrangeté que l’on ressent, que l’on défit ou dont on se défit.